Henri Martin est essentiellement défini comme un décorateur qui a tenté d’appliquer l’impressionnisme aux grandes surfaces. Cette tentative peu commune entreprise sur un nombre considérable de décorations est, par certains aspects, exemplaire. Il avait délibérément recherché cette aventure et apprécierait cette schématisation. Dans leur majorité ces compositions ont conservé leur vigueur initiale et leur robustesse naïve les rapproche de notre sensibilité. Bien que leur symbolisme apparaisse parfois désuet, elles occupent l’espace selon un rythme harmonieux.
Pour les peintures de chevalet, une hiérarchie s’impose malgré l’arbitraire de toute classification. La première place revient aux lumineux paysages pointillés du Quercy. Ce sont à la fois les plus beaux et les plus appréciés et ils rendent parfois Henri Martin, le temps d’un tableau, l’égal des grands impressionnistes. Ensuite, les scènes champêtres et les portraits ont connu, à leur tour, l’engouement des amateurs. Sa période symboliste enfin, retrouve la faveur du public ; ainsi, quelques toiles de cette époque montrent combien les allégories d’Henri Martin conservent leur saine fraîcheur, comparée aux muses évanescentes de ses contemporains.
Dans les années 1970, l’artiste n’était pas en grâce auprès des historiens de l’art. Tout à la fois vilipendé par les auteurs qui réhabilitaient les peintres académiques et totalement ignorés de ceux qui dressaient le catalogue des néo-impressionnistes, il était alors, comme en 1889, l’objet des mêmes reproches, à savoir : « renégat de l’académisme », « copieur intéressé des pointillistes »… Pourtant, en son temps, si Henri Martin, pilier du Salon des Artistes Français, fut certes haï par Signac, il fut aussi l’ami de Vuillard ou de Maurice Denis et apprécié par Gustave Geoffroy.
Aujourd’hui, au début du XXIe siècle, on redécouvre son rôle, secondaire peut-être, mais non négligeable dans l’évolution de la peinture à la fin du XIXe siècle. D’une part, en effet, c’est en partie grâce à lui que le phénomène d’accoutumance en faveur des impressionnistes et des pointillistes a joué plus rapidement. Les bourgeois défilaient devant ses toiles exposées dans les salons officiels ; le menu peuple côtoyait ses décorations dans les édifices municipaux. Or, ces publics n’auraient certainement pas eu l’occasion de connaître les tableaux des créateurs de l’impressionnisme et ainsi, par l’entremise d’Henri Martin, ils s’habituaient, insensiblement, à savoir regarder les œuvres de vrais précurseurs. D’autre part, à la suite et sous son patronage plus ou moins conscient, des artistes plus jeunes, engagés dans la filière officielle, ont subi moins docilement le joug de l’académisme.
Dans un milieu hostile, Henri Martin a donc introduit, relativement tôt, les hardiesses de ses grands contemporains selon une vision personnelle et avec prudence. Toute époque a besoin de tels intermédiaires ; peut-être, à force d’avoir ainsi vu Henri Martin, le public a-t-il été capable d’apprécier avec moins de réticence Monet ou Seurat. Ce rôle doit lui être reconnu parce qu’avec un entêtement bourru d’artisan et un courage tranquille, sans se laisser atteindre par les succès ou les revers, il a su rester fidèle à sa propre personnalité et à l’expression juste de son tempérament d’artiste.
Guillaume Apollinaire disait avec justesse : « Henri Martin, indéniablement, est de cette ancienne peinture qu’aucune autre, nouvelle, novatrice ou révolutionnaire, ne saurait faire disparaître, parce qu’il représente avec passion et sincérité le bonheur de peindre. Non, c’est vrai, il n’a pas changé la peinture mais il fut peintre »1.
1 Guillaume Apollinaire, Les Peintres cubistes, Méditations esthétiques (1913).